L'Agence spatiale africaine, inaugurée à la Cité spatiale du Caire au mois d'avril dernier, est considérée comme une étape importante dans un processus en cours depuis le début des années 2000. S'inspirant de l'Agence spatiale européenne, elle fédère les États membres de l'Union africaine (UA) pour exploiter les technologies spatiales au service du développement. Cette initiative s'inscrit dans le cadre de l'Agenda 2063 de l'UA, qui vise à faire progresser l'Afrique vers un avenir prospère.
L'objectif de l'agence est de coordonner et mettre en œuvre les ambitions spatiales de l'Afrique en promouvant la collaboration entre les 55 États membres de l'UA, exploiter les technologies spatiales pour le développement durable, la résilience climatique et la croissance socio-économique, superviser la politique et la stratégie spatiales africaines pour améliorer l'accès aux données spatiales et favoriser les partenariats avec les agences spatiales internationales comme l’Agence spatiale européenne et d’autres.
Plus de 20 pays africains exploitent des programmes spatiaux et plus de 65 satellites africains ont été lancés. Et ses promoteurs sont convaincus que l'agence peut contribuer à ce que l'Afrique ne soit pas marginalisée dans l'économie spatiale. Ce secteur devrait représenter 1 800 milliards de dollars d'ici 2035. L'agence spatiale est ainsi appelée à donner à l'Afrique la possibilité de relever les défis urgents et de saisir les opportunités de l'économie spatiale mondiale. Celles-ci incluent l'utilisation des données satellitaires, le renforcement de la connectivité, la stimulation de la croissance économique, la promotion des partenariats mondiaux et la formation des futurs dirigeants.
Des yeux précieux dans le ciel
Les ressources spatiales, notamment les satellites d'observation de la Terre, offrent de nombreux avantages. Le continent est confronté à des risques climatiques importants tels que les sécheresses, les incendies et les inondations. Cette situation est particulièrement problématique car le secteur agricole représente environ 35 % du PIB africain et emploie près de la moitié de sa population sur plus d'un milliard d'hectares de terres arables.
Les données satellitaires optimisent les rendements des cultures, soutiennent une agriculture résiliente au changement climatique et favorisent la pêche durable et la modernisation des ports. L'Agence nationale de recherche et de développement spatial du Nigéria, par exemple, a utilisé des satellites comme NigSat-2 pour surveiller la santé des cultures et prédire les rendements. Au-delà de l'agriculture, les satellites contribuent à la planification de projets dans les villes d'Afrique. Le Kenya utilise un satellite pour suivre les tendances du développement urbain et renforcer les capacités municipales de planification urbaine.
Les satellites surveillent également les territoires africains riches en ressources tout en s'attaquant à des problèmes tels que les conflits armés, la déforestation, la migration illégale et l'exploitation minière. ans ce cadre, l'Agence spatiale africaine contribuera à l'accès aux données satellitaires enrichies par l'IA. Cela permettra même aux pays aux ressources limitées de répondre aux besoins locaux. Par exemple, le premier satellite ivoirien de fabrication locale, lancé en 2024, illustre comment les pays africains développent leurs propres capacités.
En facilitant le partage des données, l'Agence spatiale africaine permet également au continent de générer des revenus sur le marché mondial des données spatiales, ce qui stimule l'innovation. Sans oublier que la fracture numérique en Afrique est flagrante. Seulement 38 % de sa population était connectée en 2024, contre une moyenne mondiale de 68 %. L'Agence spatiale africaine vise à combler ce fossé grâce aux communications par satellite. Cette technologie permet d'offrir le haut débit aux régions reculées où les antennes-relais et les câbles sous-marins sont peu pratiques.
Un secteur qui pèse plus de 20 milliards USD
L'Agence spatiale africaine prépare également l'Afrique à adopter les nouvelles technologies spatiales. Parmi les exemples, on peut citer la démonstration, en 2025, par le Japon d'un système de transmission d'énergie solaire depuis l'espace, faisant suite à une réalisation américaine en 2023. Cela pourrait révolutionner l'accès à l'énergie. L'énergie solaire spatiale capte l'énergie solaire en orbite via un satellite et la transmet sous forme de micro-ondes vers la Terre. Cela offre une solution à la précarité énergétique de l'Afrique. Elle pourrait fournir une énergie fiable aux zones reculées dépourvues d'infrastructures de réseau étendues.
Le secteur spatial africain, qui pèse aujourd'hui plus de 20 milliards de dollars, connaît une croissance rapide. Le secteur a bénéficié d'un soutien accru des entreprises privées et des investisseurs, dépassant ainsi la seule dépendance aux financements publics. Les investissements sont soutenus par 327 entreprises NewSpace, terme utilisé pour désigner la nouvelle industrie spatiale commerciale émergente dans des pays comme l'Égypte, le Nigéria et l'Afrique du Sud. Ces entreprises excellent souvent dans les communications par satellite, l'observation de la Terre et la fabrication de composants.
Mais de nombreux pays africains manquent de ressources. L'agence réduira les obstacles en favorisant la collaboration, en coordonnant les programmes spatiaux nationaux et en réduisant les doublons. Par exemple, les efforts de l'Agence spatiale africaine pour rationaliser le développement et les lancements de satellites stimuleront les pôles industriels et technologiques locaux.
A savoir enfin que le secteur spatial africain s'appuie sur des partenariats avec des agences spatiales et des entreprises spatiales commerciales basées dans les « puissances spatiales ». Parmi celles-ci figurent les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, l'Inde, l'Italie, le Japon, Israël et les Émirats arabes unis. Ces institutions fournissent des services de lancement, de développement de satellites et de stations terrestres. Un exemple est le GaindeSAT-1A du Sénégal, un CubeSat lancé en 2024 par l'américain SpaceX avec une collaboration française.
Parallèlement, des pays comme l'Afrique du Sud explorent des programmes de fusées locaux pour renforcer l'autonomie de l'agence. Des stations spatiales africaines sont déjà implantées sur tout le continent, soutenant l'Agence spatiale européenne et des missions commerciales. Elles accueilleront bientôt une station spatiale lointaine pour la National Aeronautics and Space Administration (NASA) américaine. Mais le financement demeure un défi. Les pays africains n'ont alloué que 426 millions de dollars aux programmes spatiaux en 2025, soit moins de 1 % des dépenses mondiales. L'Agence spatiale européenne dispose d'un budget de 8 milliards de dollars. Toutefois, des initiatives comme le programme de partenariat spatial Afrique-UE, doté de 100 millions d’euros (2025-2028), visent à renforcer la souveraineté et l’innovation spatiales de l’Afrique.