Les impacts sur l’économie de la fermeture des frontières et des restrictions sur les voyages pour lutter contre la propagation du Covid-19 ont plongé l'aviation commerciale africaine dans l'incertitude. La plupart des pays du continent ont suspendu leurs liaisons aériennes avec l’étranger pendant plusieurs mois.
Le mois dernier, l’IRF (International Road Federation) à l'appui de la Conférence des transports en Afrique australe, a organisé son quatrième webinaire pour 2020 sur l'impact de la pandémie sur l'aviation africaine, les développements de la technologie aéronautique et l'état évolutif de l'industrie du transport aérien en Afrique.
Ogaga Udjo, directeur général de ZA Logics, a fait un exposé sur l’évolution de l'aviation africaine. Selon ce dernier, avant la Covid-19, l'industrie a profité de 11 années de croissance. Le secteur en Afrique prévoyait une augmentation des ASK (sièges-kilomètres disponibles) de 3,8%, une croissance des RPK (passagers-kilomètres payants) de 4,9% et une rentabilité de 200 millions de dollars pour 2020. Mais le coronavirus est venu changer la donne. Udjo a ajouté que l'industrie de l'aviation africaine représente 56 milliards de dollars d’activités économiques et 6,2 millions d'emplois. L’Association internationale du transport aérien (IATA) estime pour sa part que plus d’un emploi sur deux aérien pourrait disparaître. Sur 6,2 millions d’emplois liés au transport aérien, 3,5 millions sont menacés. Exemple parmi d'autres : la Kenyan Airways prévoit de se séparer de 50% de ses pilotes, 200 d’entre eux devraient quitter la compagnie d’ici deux ans. Des stratégies « fragmentées » On prévoit cependant que la récession économique en Afrique sera « proportionnellement plus faible » comparée à d'autres régions pour 2020. Cela est dû à une croissance économique régulière au cours des trois dernières années (3,23% en glissement annuel). Le produit intérieur brut (PIB) de l'Afrique devrait s'établir à -4,4% en 2020, avec une reprise en 2022 à 3,6%. Les grandes économies comme l'Afrique du Sud devraient connaître néanmoins une récession plus profonde à court terme.
Si l'on considère la structure du marché de l'aviation africaine, elle est fortement dépendante du trafic intercontinental, le trafic intra-africain étant la contribution la plus faible. Ce sujet fait l'objet de nombreux débats mais un constat s’impose : la connectivité africaine reste faible, ce qui n'est pas seulement une question de libéralisation, mais aussi en raison des stratégies d'investissement qualifiées de fragmentées. En 2019, 35% des passagers qui ont atterri en Afrique effectuaient des voyages internationaux, 25% intra-africains et 40% nationaux. Ces pourcentages varient : le Maroc comptait 77% d'intercontinental, l'Angola 38% et le Kenya 25% avec l'Afrique du Sud et le Nigéria à 17% et 18%. Le nombre de liaisons domestiques pour l'Afrique du Sud et le Nigéria est beaucoup plus élevé (70%). Cela est dû, selon les analystes, à la maturité de leur industrie aéronautique. Faible appui de l’Etat Sur un continent où la plupart des compagnies aériennes appartiennent à l'État, les réponses des transporteurs face au bouleversement du marché provoqué par la Covid-19 sont jugées mitigées. Les compagnies aériennes africaines pourraient perdre de 6 à 8 milliards de dollars de recettes passagers par rapport à 2019. La contribution habituelle au PIB africain de 56 milliards de dollars par an devrait chuter à 35 milliards de dollars, selon l'Association du transport aérien international (IATA).
En ce qui concerne les restrictions, la plupart des réponses des États / compagnies aériennes étaient très progressives, avec de lourdes restrictions imposées en mars. L'assouplissement a commencé au niveau national vers juin / juillet, avec plusieurs frontières rouvertes en octobre pour les voyages internationaux. L'aide gouvernementale a été faible. On estime que seulement une dizaine de pays africains avaient consenti à apporter des appuis ciblés conséquents. Retour à la normale … en 2024 En termes de reprise possible de l'industrie aéronautique africaine, Ogaga Udjo soutient que la reprise serait affectée négativement par la récession économique à venir, et que le niveau de trafic de 2019 ne sera de nouveau atteint qu’au premier trimestre de 2024. Il note en outre que la reprise sera plus prononcée là où il y a une industrie aéronautique nationale solide.
Concernant l'impact sur l'offre dans l'industrie aéronautique sud-africaine, l’ACSA (Airports Company South Africa) a déclaré qu'il y aurait « une réduction des dépenses en capital de 820 millions de dollars entre 2021 et 2023 pour les compagnies aériennes ». Du côté de la demande, on prévoit une réduction des budgets de voyage des entreprises et des gouvernements, ainsi que moins de revenu disponible des ménages et moins de confiance des clients. Concernant les opérations de sauvetage des compagnies (business rescue), les spécialistes estiment qu’il n’y a pas de solutions miracles et que les chances de réussite reposent sur quelques facteurs : la capacité de s’adapter au marché, la durabilité du modèle commercial et le niveau d’engagement des parties prenantes. Notons, à titre de référence, qu’en matière d’offre et de demande de sièges passagers en Afrique du Sud, le pays du continent où l’industrie aérienne est la plus développée, Fly Safair est devenue leader avec 21% des sièges pour 22% des passagers, suivie par Mango avec 21% à 21% et Kulula.com avec 17% des sièges pour 19% des passagers. SA Airways représente 10% des sièges pour 9% des passagers. Les points à privilégier Les analystes soulignent qu'en matière de reprise et de restructuration, les compagnies aériennes doivent accorder une importance majeure à « l’expérience client, aux process internes et à la coopération ». Les compagnies aériennes doivent avoir une compréhension poussée du comportement des clients pendant et après la Covid-19 afin de pouvoir prendre les bonnes mesures pour garantir la confiance des voyageurs.
Pour Muhammad Albakri, vice-président régional de l’IATA pour l’Afrique et le Moyen-Orient, les orientations du document intitulé « Paré au décollage » de l’OACI représentent la marche à suivre à l’échelle mondiale pour l’aviation. « Sa mise en œuvre devrait donner aux gouvernements la confiance nécessaire à l’ouverture des frontières sans quarantaine, et aux passagers la confiance voulue pour prendre l’avion ». Notons que ce document propose aux gouvernements un cadre pour redémarrer l’aviation tout en protégeant la santé publique. « Les gouvernements d’Afrique sont invités à mettre en œuvre les orientations rapidement et d’une manière harmonisée et mutuellement reconnue pour permettre à l’aviation de contribuer en toute sécurité à la reprise économique de l’Afrique après la Covid-19 », dans l’introduction.