Le négociant suisse Gunvor a annoncé le retrait de son offre d’achat portant sur les actifs internationaux du groupe pétrolier russe Lukoil. Cette décision marque la fin d’une opération d’envergure qui aurait constitué la plus importante acquisition de l’histoire du trader suisse qui est très actif en Afrique.
Le retrait de l'offre de Gunvor intervient dans un climat diplomatique tendu, après que le département du Trésor américain a qualifié Gunvor de « pantin du Kremlin », précisant que la société « ne recevra jamais de licence pour opérer et tirer profit » tant que la Russie poursuivra la guerre en Ukraine. Gunvor, quatrième plus grand négociant pétrolier mondial, avait soumis une proposition pour acquérir Lukoil International GmbH, la filiale autrichienne regroupant les actifs étrangers du géant russe. Cette structure concentrait une part importante des participations internationales de Lukoil, notamment en Afrique, où le groupe détient 20 % du bloc OPL 245 au Nigeria (aux côtés d’ENI et de la NNPC), 38 % du bloc Deepwater Cape Three Points au Ghana (opéré par Aker Energy), 25 % du bloc Marine XII au Congo-Brazzaville, ainsi que plusieurs concessions en Égypte, dans le golfe de Suez et le désert oriental.
Sur le plan financier, Lukoil International GmbH affichait, à la fin de l’année 2024, 22 milliards de dollars de fonds propres, dont 18,8 milliards d’immobilisations et 3,2 milliards de liquidités, sans dette déclarée. À titre de comparaison, Gunvor disposait de 6,8 milliards de dollars de capitaux propres à la même période. L’opération représentait donc un pari audacieux, nécessitant une structuration financière complexe et surtout l’aval des autorités américaines, compte tenu du statut sanctionné de Lukoil. Le 30 octobre, Lukoil avait annoncé avoir accepté l’offre de Gunvor, sous réserve de l’approbation de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), l’agence américaine chargée de délivrer les licences pour les transactions impliquant des entités sanctionnées. Cependant, la prise de position ferme du Trésor américain a rendu toute perspective d’accord impossible. En qualifiant Gunvor de proche du Kremlin, Washington a fermé la porte à toute transaction entre le trader suisse et l’entreprise russe.
Cette annonce de retrait est faite dans un contexte marqué par le renforcement des sanctions occidentales contre le secteur énergétique russe. Fin octobre, les nouvelles mesures américaines ont interdit toute transaction avec les sociétés pétrolières russes, fixant au 21 novembre 2025 la date limite pour mettre fin aux opérations existantes, sous peine de sanctions secondaires. Lukoil espérait alors céder rapidement ses actifs internationaux afin de protéger une partie de ses revenus hors de Russie — un objectif désormais compromis. Pour les analystes, le retrait de Gunvor constitue un revers majeur pour Lukoil, qui doit désormais trouver un repreneur acceptable pour Washington.
"Pour Gunvor, cette décision illustre la pression croissante exercée par les autorités américaines sur les intermédiaires jugés trop proches des intérêts russes. Pour Lukoil, elle souligne l’isolement économique croissant de la Russie sur la scène énergétique mondiale. En se retirant, le négociant suisse confirme que les sanctions financières sont devenues une arme décisive, capable de redessiner les équilibres du commerce pétrolier international", a commenté Yves Robert, consultant financier qui connait bien les enjeux mondiaux du secteur pétrolier et ceux du Golfe de Guinée en particulier.
